Notre cuisine
Si vouloir comparer des cuisines à des décennies de distance a un sens, on peut observer une certaine constance dans celle des Troisgros : le goût de la lisibilité et de la simplicité semble être un trait familial. Cela a sans doute à voir, par delà les générations, avec ce principe inculqué par Jean-Baptiste à ses fils et à ceux qui travaillaient avec lui. Simple ne veut pas dire cependant manquant d’originalité ou de recherche, mais ces dernières ne doivent en aucun cas céder à l’ésotérisme. Pour parvenir à cette clarté de l’assiette, des moyens techniques sont mis en œuvre, l’utilisation de la saveur acide, par exemple, que Michel a su exploiter de mille et une manières pour en faire, pourrait-on dire, la lumière de sa cuisine, ou un certain minimalisme qui « gomme » l’effort technique, mais aussi des moyens intellectuels, en particulier ce sens de l’époque commun à la famille toute entière, comme la fréquentation de l’art contemporain que partagent Marie-Pierre et Michel.
L’arrivée de César aux côtés de ce dernier, d’une certaine manière, a déjà infléchi la trajectoire de cette cuisine ; celle, toute récente, de Léo en fera peut-être autant : d’autres sources d’inspiration entrent en scène pour détacher les différents plans de la composition. À l’acidité vient souvent, dans l’assiette, s’adjoindre le piquant : l’univers hispanique (« latino » ?), au sens large, s’invite aux côtés de l’Italie. De même, le cosmopolitisme toujours plus grand de la brigade, aujourd’hui encore plus qu’hier, fait découvrir de nouvelles saveurs et de nouvelles techniques. La grande proximité avec la nature offerte par Ouches, la ruralité du lieu, la possibilité de tenter des expériences culturales conduisent déjà cette cuisine vers d’autres horizons encore, d’autant plus que, de ce point de vue, César tire les leçons de son séjour en Californie, où est né ce militantisme vert, et déborde d’envies.