Book
César Troisgros

The chef

“À l’adolescence, je me suis demandé ce que j’aimais vraiment. Comme je jouais de la batterie et de la guitare, j’ai hésité à suivre une autre voie, celle d’ingénieur du son. Mais je voyais mes parents heureux dans ce qu’ils faisaient et je me suis dit que ce métier n’était peut-être pas si mal. Cela étant, je parlerais moins de vocation que de passion. La passion est venue avec le travail, les rencontres, l’épanouissement.”

 

Son ouverture au monde

“Au cours de ma formation, j’ai décidé de faire mes stages dans des maisons importantes, qui m’ont séduit, aux valeurs fortes, familiales comme celle de Michel Rostang à Paris. J’avais à la fois l’envie de retrouver un cadre de travail et d’hospitalité que je connaissais et en même temps le souhait de découvrir. En Catalogne, j’ai fait le tour de trois restaurants avant de choisir El Celler de Can Roca à Gérone, tenu par les frères Roca.”

“Après, j’ai eu envie de partir aux États-Unis. Mon oncle, m’a conseillé d’aller chez le chef Thomas Keller dans la Napa valley, une région viticole de Californie, située au nord de San Francisco. Je me suis retrouvé dans une maison exceptionnelle, très organisée, très sérieuse, rigoureuse, avec une super brigade, un changement de menu quotidien, une intensité créative importante et une implication de toute l’équipe. J’ai appris beaucoup sur mon métier et sur cette culture californienne très métissée, ouverte sur le Pacifique, l’Asie, l’Amérique du Sud et le Mexique.”

 

Ouches, un souffle nouveau

“Je suis revenu en France pour Noël 2010, avec l’envie d’aller vivre un an au Japon. En mars 2011, la veille de mon départ, la catastrophe de Fukushima m’a contraint à reporter mon projet. À Roanne, une place m’attendait. J’étais chef de partie, au poisson, à la viande, au garde-manger et en 2012 je suis passé sous-chef. Voilà, ça s’est fait comme ça. Cela étant, à l’époque, je ne me voyais pas rester dix ans. Avec le projet de Ouches, les perspectives ont changé.”
“Je me retrouve alors investi d’une mission plus importante, familiale, que j’ai la chance de faire mienne. Je perçois la vision de mes parents. Je vis ça pleinement, en confiance car ils en sont les initiateurs. Je comprends qu’ils ont raison, que c’est ce qu’il faut faire, qu’il ne faut pas avoir peur du changement. C’est un souffle nouveau qui arrive, qui me permet de m’épanouir. Je suis très intéressé, très impliqué. Je donne mon avis.”
“Toute la cuisine, je la dessine avec papa. On y retrouve les mêmes principes, avec un espace moins profond et plus large. Pas de cloisons ni d’étagères, pas de séparation ni d’obstacles. Une cuisine baignée de lumière, où règne la pureté des plans de travail, où l’espace n’enlève rien à la proximité mais favorise l’organisation du travail, sa convivialité, sa performance.”

 

Le jardin, tout un univers

“Quand on achète le domaine, on se rend compte qu’il y a un jardin et un verger, mais mal entretenus. Pendant deux ans, on améliore un peu, d’abord sans jardinier. De temps en temps, durant les réunions de chantier, on fait des cueillettes. Puis l’année de l’ouverture, une maraîchère vient m’aider à concevoir des buttes, à améliorer la terre argileuse et trop à nu, à ramener de la vie dans ce jardin. Je plonge dans la lecture d’ouvrages sur la permaculture, découvre la Ferme biologique du Bec Hellouin, m’intéresse aux témoignages portés par le film Demain.”

“Les choses arrivent successivement. Je développe le jardin, avec ce goût plus prononcé pour le soin à apporter à l’agriculture. Nous avons pris les bonnes décisions en faisant évoluer le potager radicalement vers la permaculture. On améliore sans cesse et cela porte ses fruits. Ici, à Ouches, la vision de notre cuisine est différente, de notre part et de celles des clients. La nature joue un rôle dans notre travail, on est imprégnés par elle.
En plus de cet écosystème naturel, nous veillons à préserver notre écosystème économique et humain. À chacun son métier. Je n’ai aucune ambition de remplacer nos maraîchers par notre jardin. Nous le touchons du doigt pour nous faire plaisir, avoir des choses que les autres ne font pas.”

 
“Je ne cherche pas à être trop intellectuel dans ma démarche, je veux seulement que ma cuisine plaise aux convives.”
césar troisgros

Partitions et interprétations

“Le côté artistique de notre métier dépend de la forme d’art auquel on le compare. Entre musique et cuisine, il y a une même notion de création, d’écriture et de composition, qu’elle soit déléguée ou non. Le même besoin de répéter, d’enregistrer pour partager avec un plus grand nombre, d’avoir une qualité constante sans jamais jouer la partition de la même façon, en cherchant toujours à l’améliorer. Et aussi le fait de créer quelque chose que l’on a envie de regoûter, comme une chanson, parce qu’on a aimé le style et aussi qu’on l’a compris. Je ne cherche pas à être trop intellectuel dans ma démarche, je veux seulement que ma cuisine plaise aux convives. Il y a des inspirations différentes, mais quand on finit un repas il faudrait presque avoir envie de le recommencer. Se souvenir, comme à l’écoute d’un album, avec un titre qui nous plaît plus, tout en étant satisfait par l’ensemble de la prestation.”

“Je ne parlerais pas de plat signature, j’évoquerai plutôt un style signature. D’ailleurs, je fais souvent bouger les appellations sur le moment, avec une liberté très jazzy et très poétique aussi. Ma démarche s’appuie sur le goût juste, l’émotion suscitée par les textures et les saveurs, la pureté, la lisibilité, la qualité des produits évidemment et la finesse bien sûr. Pour ce qui est de la philosophie et du sens de l’hospitalité, j’ai la même vision que mes parents. Rendre les gens heureux avec beaucoup de bienveillance, leur faire plaisir, partager un bon moment, simple et sincère.”